(Attention cet article date de 2013 ! )
L’Alsace n’échappe pas à ses vieux démons. Une frénétique agitation secoue le bocal local des extrêmes-droites. Le contexte est particulièrement propice aux groupuscules qui manquent cependant d’imagination et nous resservent les mêmes soupes puisque les partis en pleine restructuration ou en perte de vitesse ne sont pas en capacité de donner un cadre à des militants en mal d’actions. Retour rapide sur l’activité nationaliste dans cette région de ces derniers mois.
Le Front National du Haut-Rhin mené d’une poigne de fer par le couple Binder s’agite à des préoccupations politiciennes qui n’intéressent que peu de monde : bientôt l’Alsace devra voter lors d’un referendum en faveur ou non du regroupement administratif des deux départements formant le conseil unique d’Alsace. Localement les Binder auraient aimé appeler au « oui » mais les instances nationales (bureau politique) sont pour le « non ». Robert Spieler –ex Fn, ex leader d’Alsace d’Abord et patron du NDP, qui vit désormais en Ile-de-France) doit bien se marrer en pensant à son ennemi Binder tiraillé entre défense de sa région et obéissance aux décisions jacobines. Toutefois, Patrick Binder a de quoi se réjouir. Mis en cause courant 2011 par un chef d’entreprise l’accusant de détournement de fond et par un journaliste qui avait relayé l’info, il vient d’être blanchi par la justice et va même toucher la coquette somme de 10 000 euros de dédommagement. Dans le Bas-Rhin, le Front, en totale déliquescence va changer de secrétaire départemental avec le départ de l’essoufflé Christian Cotelle et l’arrivée de Pascals Ellès. Le FNJ 67 totalement absent depuis des années de la scène politique locale prend une nouvelle direction avec le pétillant et « méchu » Oliver Garrecht intronisé à sa tête en février avec comme objectif affiché de faire du FNJ 67 le premier parti de jeunesse dans le Bas-Rhin.
A l’instar de Julia Abraham, icône féminine du FNJ alsacien, le jeune éphèbe a du pain sur la planche s’il espère rassembler plus que les 10 jeunes présents lors de la présentation régionale du FNJ en compagnie de Xavier Codderens en juin 2012…
Alsace d’Abord est au bord du gouffre. La lente descente aux enfers commence au premier tour des élections régionales 2010 qui marquent l’échec du parti régionaliste identitaire dans sa stratégie de conquête du pouvoir local et régional. L’ambition affichée de passer le premier tour, qui reposait essentiellement sur les scores obtenus en 2004 lorsque Robert Spieler avait atteint 9,4% des voix aux régionales, s’est effondrée avec un score frôlant 5%. Malgré un rajeunissement partiel du parti, conséquence de la dynamique de Jeune Alsace, et une campagne tout aussi dynamique (3000 affiches collées dès juillet 2009, 200 000 tracts, 13500 lettres aux élus alsaciens…) le parti islamophobe et pseudo régionaliste a vu ses scores s’effondrer. Financièrement, les investissements nécessaires à la campagne sont perdus, pas de remboursement, même partiel, puisque les scores ne dépassent pas le seuil des 5%.
Alsace d’Abord n’a pas anticipé le manque de perspectives régionales d’un parti dont la stratégie politique est de sublimer un régionalisme alsacien devenu moribond en insufflant insidieusement une théorie identitaire essentiellement basée sur l’islamophobie. Cette élection était historiquement la dernière chance pour Alsace d’Abord de siéger aux régionales puisque la réforme territoriale prévue pour 2014, taillée sur mesure pour les grands partis, va compromettre sans doute définitivement tout espoir d’élection dans ce cadre régional, fonds de commerce D’Alsace d’Abord. Décidément pas visionnaire, Jacques Cordonnier, va se rapprocher du Bloc Identitaire au moment où celui-ci est en perte de vitesse. Dès lors, il ne reste comme possibilité que l’implantation encore plus locale, lors des municipales, dans les petits villages des régions les plus agricoles. Pas très excitant pour la section Jeune Alsace, qui s’étiole au point de ne plus rien proposer et de ne plus rien représenter. Pour exemple en mai 2012, Alsace d’Abord invite à un pathétique rassemblement strasbourgeois pour la commémoration de la Constitution de 1911(qui donna un semblant d’autonomie à l’Alsace alors partie intégrante de l’Allemagne) : une petite dizaine de militants sont présents dont à peine la moitié de très jeunes gens. Pas étonnant que Cordonnier se préoccupe plus de trouver de nouveaux amis (comme lorsqu’il anime à Paris, en décembre 2012, un débat intitulé « organisons l’union sacrée » entre Serge Ayoub de Troisième Voie et Richard Roudier du Réseau Identité) que de fortifier Alsace d’Abord dont il semble être le fossoyeur. Le Réseau Identité a été créé à l’été 2012 suite à une scission d’avec le Bloc Identitaire et regroupe la Ligue du Midi, Alsace d’Abord, Jeune Bretagne, la Ligue francilienne, Aquitaine Terroir-tradition, et Auvergne-Limousin Identité. Des actions communes avec le mouvement 3eme voie ont été initiées dans le sud de la France notamment sur la question du droit de vote des immigrés aux élections municipales. Il ne semble pas exister une telle dynamique en Alsace.
En 2011-2012, quelques très jeunes types ont essayé de copier-coller les Nationalistes Autonomes en Alsace. L’essai n’a pas été transformé plus loin que quelques bravades sur Facebook. C’est fin 2012 que les choses s’accélèrent à Strasbourg avec une conférence débat organisée par Civitas en présence d’Alain Escada.
Le service d’ordre gère la salle et son entrée, appuyé par un dispositif policier vite débordé par les manifestants. Excités par l’organisation d’un évènement réactionnaire sur la ville, quelques jeunes boneheads circulent en ville et viennent même se faire gentiment secouer aux abords de la contre-manifestation. Quelques minutes plus tard apparaît discrètement François Trauth, un néo-nazi bien connu, membre du NPD Allemand, venu à la rescousse. Ce dernier s’est fait connaître il y a quelques années lorsque dans la nuit du 26 au 27 novembre 2006, un homme se fait tabasser par un groupe de neuf néonazis à Lahr dans le Bade-Wurtemberg.
François trauth, Eric Heidmann et Romain St Luc la veille de l’agression lors d’une manif nazie en Allemagne
Cette agression a un important écho dans toute l’Allemagne et cela principalement pour deux raisons : Elle se déroule dans l’Ortenau, un secteur qui jusqu’alors n’est pas connu pour être une région propice aux néonazis et parce que parmi les suspects interpellés se trouvent 6 néonazis alsaciens. Sur les six alsaciens, quatre sont déjà connus comme appartenant aux mouvements néo-nazis. Certains d’entre eux sont présents lors des manifestations d’Alsace d’Abord à l’instar de François Trauth. L’agression avait été perpétrée -entre autre- avec Romain Saint Luc, responsable du groupe néo-nazi Bewegung Junge Volksdeutsche Elsass-Lothringen (BJVEL) littéralement « Mouvement des jeunes allemands de sang d’Alsace-Lorraine » qui entretient des relations étroites avec le NPD.
Mi-décembre, Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti passent par Strasbourg dans le cadre de leur tournée de propagande pour le lancement d’une section locale des Jeunesses Nationalistes. Une réunion est organisée en périphérie de Strasbourg, dans un local de zone artisanale appelé « le Garage » et qui sert de point de rassemblement et d’entrainement à quelques nationalistes férus de combats. Les Jeunesses Nationalistes s’organisent autour de Mickaël Fraipont et quelques –là encore- très jeunes gens via le réseau social Facebook. Du nord de l’Alsace (Haguenau) au sud, vers Altkirch, des groupes affinitaires se politisent. Ils sont jeunes, mâles, blancs, vivent à la campagne ou dans de petites villes, sont passionnés de tuning, de freefight et d’Airsoft. Mais le succès soudain du mouvement de jeunesse de l’Œuvre Française, une structure jusque-là totalement absente en Alsace, génère des tensions. Dès janvier 2013, Génération Identitaire réagit et organise une « journée de lancement » pour souder les quelques troupes disséminées essentiellement dans le Haut-Rhin de Huningue à Bourtzwiller. Après le passage furtif d’Alsace d’Abord au Bloc Identitaire puis son adhésion à la fédération du Réseau Identité à l’été 2012, les Identitaires n’ont plus aucune raison de ne pas chercher à s’implanter sur le fertile terreau alsacien. C’est aussi dans le sud Alsace que sévit l’Elsass-Brotherhood, une bande de boneheads néo-nazis qui est l’émanation la plus nordique de l’Artham-Brotherhood. Ce groupuscule franco-suisse essaime de Lyon à Genève en passant par le sud de l’Alsace.
Néo-nazis affirmés, travaillant dans la discrétion, la dizaine de membres alsaciens organise essentiellement des évènements festifs et paramilitaires. Enfin, encore et toujours dans le sud Alsace, une section locale du mouvement solidariste et révolutionnaire 3ème voie de Serge Ayoub vivote sans grandes prétentions politiques : là encore il s’agit d’un rassemblement affinitaire, très localisé, de jeunes hommes issus de villages. Ainsi, l’organisation d’évènements festifs reste l’essentiel de l’activité. En témoigne la reconstruction d’un abri de randonnée en forêt de Folgensbourg, à quelques enjambées de la frontière Suisses, qui permet, avec le soutien de la population locale, d’organiser des moments festifs dans un pur esprit Volkich mêlant fraternité et racialisme et ruralité. Le groupe est constitué d’une douzaine de membres et d’autant de satellites. Il est animé essentiellement par Schneberger Emmanuel, un bonehead amateur de voiture et de chien de combat…Plus cérébrale l’équipe de Terre et Peuple Alsace continue son bonhomme de chemin, de randonnée…en solstice. Cet évènement annuel est très couru et réussit à fédérer de nombreuses personnes.
Ainsi, la sphère d’extrême droite et ses différents courants semblent bien plus faibles en Alsace qu’il y a quelques années. Les forces militantes sont en constante baisse et l’activisme concerne des personnes de plus en plus jeunes avec un taux de rotation très important. Le changement de génération s’opère : la répression, la famille, le taf, la lassitude… autant d’éléments qui écartent les anciens. De nouvelles pratiques affleurent. Il existe un usage consumériste du militantisme et des groupuscules, suivant les modes et tendances. Un prêt à penser de l’activisme. Les changements de groupes fréquents démontrent une porosité des idées et une recherche « à tout prix » de l’action au détriment d’un travail politique en profondeur. L’appartenance à tel ou tel groupe n’est pas forcement liée aux idées qu’il défend : le jeune militant d’extrême droite passe facilement de groupe nationaliste, à des groupes identitaires plutôt régionalistes, il saute sans complexe de structures paganistes à d’autres aux références plus classiquement catholiques et vieille France. La forme plutôt que le fond. Et pourtant ils le touchent souvent. Le militant est jeune, rural, adepte des réseaux sociaux, il intègre des groupes militants de manière affinitaire dans son village ou dans le proche canton. Il existe une véritable dichotomie entre monde citadin et rural, au-delà des clichés, deux mondes s’observent et se craignent. Dans son fief, le jeune d’extrême droite est habillé en bonehead « sapin de Noël » tandis qu’il se fait plus discret en ville, craignant de fantasmagoriques « gauchos » ou « indigènes ». Partout dans les collèges et lycées, les boites de nuit, le port du Lonsdale se transforme en porte étendard d’une révolte et de la défense de l’identité menacée. La passion pour les répliques d’armes de guerre (paint-ball et Airsoft…) -plus facile à posséder que de vrais flingues- permet de s’exercer à la guerre raciale en tenue « camo » dans les forêts, pour la défense du Heimat. Avant il y avait le service pour cela. Les gros chiens féroces sont vénérés à l’instar des combattants de freefight. En grandissant, le MMA remplace le catch. Culte de la virilité : il faut soulever de la fonte pour avoir de plus gros bras, pour mieux les tendre. Le jeune néo-nazi en Alsace n’est pas vraiment militant malgré les quelques collages d’affiches qu’il fait lorsque le leader insiste un peu. Il est plutôt branché virée entre potes, tuning et binouze. Il n’est pas vraiment diplômé, plutôt working class sans l’esprit de classe. Bras tendus et crânes tondus forment des identités fondues dans un mélange de racisme, de révoltes, d’amitiés et surtout d’entre soi. Le bonehead rural contemporain est comme le punk urbain d’hier, le racisme en plus.
Article initialement publié sur La Horde