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OTAN, des sommets de propagande (1/3)

OTAN, des sommets de propagande (1/3)

Premier volet d’un article en 3 parties qui revient sur le sommet de l’OTAN de 2009 à Strasbourg et Kehl.

On se souvient du 60e anniversaire de l’OTAN, voulu par Sarkozy à Strasbourg et co-organisé par la France et l’Allemagne en avril 2009. On se souvient du déploiement massif des forces de répression d’État, de cette ville occupée, organisée en secteurs de couleur et dont la population avait été scrupuleusement fichée et badgée. On se souvient de cette capitale européenne paralysée, bunkerisée, sorte de parenthèse totalitaire sous couvre-feu. On se remémore le village anti-OTAN, le contre-sommet, la manifestation piégée et enfin l’explosion de colère qui couvait comme un incendie de douane.

On se souvient moins du long et préalable travail de propagande des décideurs locaux pour faire accepter ce sommet à une ville qui n’en voulait pas. On ne connaît pas, hors les murs de la capitale rhénane, le devenir des promesses faites et les conséquences à long terme du sommet de l’OTAN. Un quartier, le Port-du-Rhin, symbolise à lui seul la mécanique perverse qui s’est joué.

Le miroir aux alouettes

Dans les villes bourgeoises, une corporation est à ménager avec le plus grand soin : les restaurateurs-hôteliers-commerçants-artisans. Jadis terreaux poujadistes, ils paient des impôts à la ville pour y plumer les badauds. Ils sont craints et puissants, réunis en associations de défense de leurs intérêts économiques. La municipalité de Strasbourg a déployé, avec le soutien de l’État, des trésors d’imaginations pour rassurer la caste marchande, manipuler les commerçantEs en leur faisant miroiter des retombées économiques sans précédent puis, dans un second temps, pour pallier finalement aux baisses des chiffres d’affaire essentiellement dû au bouclage militaro-policier de la ville.

Afin de mieux faire accepter les contraintes surréalistes imposées aux habitantEs par les États tous puissants, la stratégie des autorités est simple : faire croire que l’organisation de ce sommet de l’OTAN sera bénéfique et profitable aux habitantEs, aux commerçantEs, à l’image de marque de la ville de Strasbourg et que les retombées économiques générées par l’événement seront durables notamment du fait d’une couverture journalistique mondiale.

Une véritable arnaque à grande échelle, un mensonge éhonté qui trouvera pourtant des échos. Lorsque les autorités locales et étatiques lancent leur campagne de propagande pour annoncer le sommet de l’OTAN à Strasbourg-Kehl, elles peuvent compter sur le soutien indéfectible de la presse locale, notamment des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) qui durant des mois, et au plus fort des événements, sera un relais efficace de propagande et de désinformation.

Promesses et manipulations

Dès la fin janvier, Patrick Fesquet, commissaire colonel de l’armée française, directeur des achats de la NATO (OTAN) Maintenance and Supply Agency (NAMSA) intervient à la Chambre de Commerce et d’Industrie avec un slogan en direction des entrepreneurs alsaciens : « Osez devenir fournisseurs de l’OTAN. » (ici). La NAMSA, c’est 14 milliards de dépense par an… Strasbourg accueille régulièrement ce genre de réunion. Quelques semaines auparavant, c’était la 174e session régionale de l’Institut de Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) avec près de 70 auditeurs venus travailler au rapprochement franco-allemand en matière d’armement, de technologie, de recherche et d’industrie. La rencontre s’organisait dans la caserne de l’Eurocorps qui servira d’ailleurs de base arrière lors du sommet. Elle est mitoyenne de l’aérodrome du Polygone, au sud de Strasbourg. Cet immense espace, un temps pressenti par la CAOS (Coordination Anti-OTAN Strasbourg) pour y accueillir le village alternatif, servira de « zone d’héliportage » durant la rencontre des militaires et chefs d’État. Une autre zone interdite.

Le 30 janvier, une conférence de presse est organisée par le préfet Jean-Marc Rebière et l’ambassadeur Jean-Marc Rives, secrétaire général de la préparation du sommet. On n’y apprend pas grand-chose si ce n’est que des zones de sécurités seront bouclées au plus près des sites du sommet et que de nombreuses perturbations vont en découler. « C’est une réelle opportunité pour Strasbourg qui vient renforcer sa stature internationale » martèle déjà Robert Hermann, premier adjoint au maire, qui annonce entre 2.000 et 2.500 journalistes. Dès la fin janvier « dans le monde du commerce, un bruit circule : il faudra fermer boutique, mais en échange, viendrait une autorisation d’ouvrir le dimanche. » (DNA, 8/02/2009) chose confirmée lors de la conférence.

Le lundi 9 février, la municipalité (et le commissariat) mettent à disposition un numéro vert gratuit (pas chez la police) afin de répondre aux questionnements des habitantEs. « Strasbourg s’apprête ainsi à devenir le centre du monde durant deux jours. Nous nous plaçons dans un niveau d’information qui doit permettre aux habitants de préparer ce week-end en échappant le plus possible aux gênes nées de la surprise… » Robert Hermann (idem).

Une rencontre entre la municipalité et les acteurs économiques est programmée le 10 février, avec la participation de la police nationale. On y retrouve des représentantEs de la Chambre de Commerce et d’Industrie, de La Poste et de la SNCF mais aussi les commerçantEs des grands magasins et des centres commerciaux, les gérants de parking. Il apparaît que seulEs les habitantEs des secteurs bouclés auront accès au zones sécurisées, pas les clientEs. La tentation est grande alors pour les commerçants de fermer boutique. « Notre intérêt n’est pas de donner une image de ville morte » prévient Robert Hermann qui renouvelle l’effet d’annonce des 2.300 journalistes accrédités comme clients potentiels. Mais lorsque la question est posée de savoir si les journalistes auront accès à la zone rouge de la Cathédrale, aucune réponse n’est apportée.

Le 19 février nous apprenons que le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes est prêt à investir 12,5 millions d’euros notamment pour l’aménagement des sites du sommet. Si des entreprises locales sont commissionnées, se sont essentiellement des entreprises spécialisées qui interviennent. Le Wacken, qui accueillera les journalistes et le centre de conférence, l’aéroport d’Entzheim qui survit depuis des années à l’aide de grasses subventions et qui, nous le verrons, espère lui aussi des retombées prolifiques de cet évènement, le palais des Rohans, un bâtiment historique du centre-ville et enfin le Palais des Congrès.

À cette date, Robert Hermann annonce que l’accueil des journalistes au Wacken leur permettra de vivre en vase clos durant le sommet. Sous-entendu que les repas, la logistique, tout sera mis à leur disposition au sein du pôle OTAN.

Promo OTAN

Certains commerces, à l’instar de cette enseigne bourgeoise du centre-ville, jouent le jeu jusqu’au bout en proposant des promotions spéciales « OTAN ».

Mais ils ne sont pas seuls. Les associations de commerçantEs commencent, sous la pression médiatico-politique à jouer le jeu du pouvoir et du portefeuille. Le message martelé d’une « opportunité incroyable pour la ville » fait son chemin et le 2 mars, une liste de 178 établissements (bars et restaurants) est annoncée ouverts par le groupement des hôteliers restaurateurs qui espère « une ambiance magique pour un moment unique. ». Ils vont être servis ! « Dans les zones de sécurité, seules les personnes munies d’un badge pourront circuler, ce qui concerne entre 40 et 50.000 strasbourgeois, environs 3.000 journalistes et 4.000 collaborateurs de l’OTAN. En clair, le potentiel pour remplir les bars et restos est là… »

C’est aussi à cette date qu’une réunion est organisée avec les commerçantEs et les autorités. Une nouvelle fois, ces dernières lancent la rengaine « cet événement est une véritable chance pour Strasbourg », entre autre, Robert Hermann premier adjoint (DNA, 3/03/2009). Sont désormais annoncés plus de 10.000 personnes faisant partie des délégations des 27 chefs d’États… et 3.500 journalistes. « Restez ouvert, nous avons besoin de vous. Nous ne voulons pas une ville morne, terne, triste. Il faut jouer le jeu. » Dixit l’édile. Mais pas question d’indemnisation pour les commerçantEs qui réclament cette contrepartie. Pourtant, ils savent déjà que le préfet autorisera une ouverture « exceptionnelle » des commerces un dimanche de juin. Cela, dans le cadre de son pouvoir mais aussi de l’offensive généralisée contre le droit du travail et au détriment des travailleur/euses, volontaires pour sacrifier leur jour de repos hebdomadaire.

« Nous allons inciter les restaurateurs à rester ouverts plus tard. » explique Jean-Jacques Gsell adjoint au maire. La ville a suggéré de faire de la cuisine chaude tardive afin de satisfaire les gens qui certainement travailleront tard.

Strasbourg, capitale européenne des Droits de l’Homme est une ville qui profite aussi largement du tourisme, c’est pourquoi, la municipalité là aussi s’est donné officiellement les moyens d’attirer le touriste. « Ce n’est pas forcément très romantique de tomber sur des policiers pour avoir des explications. On réfléchit donc à doubler le dispositif avec des hôtesses souriantes qui inciteraient les touristes à changer d’itinéraire. » explique Jean-Jacques Gsell, premier adjoint au tourisme (DNA, 05/03/2009). Cette mesure envisagée, pour prétendre être préoccupé de la situation, ne verra évidement jamais le jour… les flics se chargeant, sans sourire de faire changer d’itinéraire le touriste, ou l’habitantE. L’office de tourisme dissuadera même les groupes organisés de venir aux dates du 3 et 4 avril, leur demandant de bien vouloir décaler leurs dates. De même, de nombreux groupes ou particuliers sont obligés d’annuler leur visite de la cathédrale, fermée pour l’occasion. Pourtant, l’élu en charge du tourisme persiste : « cela pourra profiter à Colmar, Obernai et les autres villes. Le sommet de l’Otan, ce sont beaucoup de contraintes sur le moment mais, à cours, moyen et long terme, nous aurons un retour sur investissement (…) ce que l’on perd sur le moment, on le récupère largement par la suite. ».

Fin mars, les DNA remettent le couvert en annonçant l’ouverture de nombreux restaurants et bar, même dans les zones fermées. Le groupement des restaurateurs hôteliers, déjà largement privilégié dans une ville touristique, annonce l’ouverture de plus de 165 bars restaurants jusque dans les zones dites de sécurités en reprenant à leur compte les arguments des autorités. « Même si on a un peu l’impression d’un état de siège, on veut donner le sentiment d’une ville vivante » (DNA, 26/03/2009).

Robert Hermann parle désormais de 3.500 journalistes et de 6.000 membres des délégations participantes. «  Des artisans, des entreprises locales vont tirer leur jus du sommet. Ce ne sera pas le cas de tout le monde, il est vrai (…) pour beaucoup, cela correspondra à une période d’activité intense. Les hôtels sont pleins, les réservations dans les restaurants sont importantes. » (DNA, 27/03/2009)

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La deuxième partie est ici, et la troisème et dernière .

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