Deuxième volet d’un article en 3 parties qui revient sur le sommet de l’OTAN de 2009 à Strasbourg et Kehl.
La première partie est ici
Le mensonge ne paie pas … la crédulité non plus
Dès l’ouverture du sommet et du contre-sommet, le discours médiatique devient bien plus critique concernant les retombées économiques immédiates. Il est clairement annoncé que le centre-ville sera déserté, que les grands magasins des zones périphériques connaîtront une baisse de leur fréquentation et qu’ils anticiperont l’événement en limitant le personnel et les commandes. CertainEs, à l’instar des commerçantEs non-sédentaires, étaient déjà prévenuEs du manque à gagner avec la fermeture non négociable de plusieurs des marchés les plus importants de la semaine (DNA, 02/04/2009).
Un vent de panique envahit les magasins, notamment les enseignes de luxe, qui craignent des débordements, des pillages. Vuitton, Cartier, Gucci, Hermès, etc. de nombreuses boutiques baissent leur rideau. « Certaines vitrines sont vidées, protégées ou sans prix, question de ne pas susciter l’ire de ceux qui dénoncent le capitalisme. D’autres magasins s’étaient barricadés ou avaient baissés les grilles en fer dès hier. ». Le constat est sans appel : « C’est une semaine de chiffre de perdue. Regardez il n’y a personne dans les rues. » déclare une commerçante de la zone rouge Cathédrale. « J’emploie 80 personnes. Est-ce que j’aurai des clients ? Je n’ai aucune réservation de délégations de l’OTAN. » déplore ce patron d’une adresse pourtant courue située au pied de la cathédrale (DNA, 03/04/2009).
Après les boutiques, ce sont les grands magasins qui renoncent : « En raison des échauffourées et des risques de retour de manifestation, les services de sécurité de la ville nous ont demandé de ne pas ouvrir. Et vu le peu de monde en ville, nous avons décidé de fermer. ». Samedi après-midi, le centre commercial des Halles est carrément évacué alors qu’aucun incident n’est intervenu dans ce secteur. « L’évacuation s’est déroulée sans problème. Il n’y avait pas beaucoup de monde. ». Il sera ensuite condamné, les portes d’accès fermées avec des planches. Le directeur du magasin Printemps évoque une baisse du chiffre d’affaire de 90% dès le vendredi. Pour Monoprix, ce sera seulement 60%. Les rues sont désertées, les cinémas vides. « Il n’y a personne. Vendredi, nous avons totalisé 200 spectateurs alors qu’il y en a 2000 un jour normal. » (DNA, 05/04/2009)
Pierre Bardet, l’influent président des Vitrines de Strasbourg, toujours prompt à faire écho au discours officiel, estimait avant le sommet à seulement 25% les magasins strasbourgeois fermés. Le chiffre passe à 75% dès le 5 avril… « Les forces de l’ordre ont sauvés le centre-ville, mais la perte économique est bien plus catastrophique que ce qu’on attendait. » (DNA, 05/04/2009)
Immédiatement, les commerçantEs établissent un état des lieux : « C’est une catastrophe. On nous avait promis des journalistes et des délégations de l’OTAN. Il n’y avait personne en ville. Pas de transport en commun, pas de parkings ouverts. Même dans les zones non badgées, on n’a pas pu travailler. Nous avons été les dindons de la farce. » constate benoîtement Pierre Bardet directeur général des Vitrines de Strasbourg, la grosse association des commerçantEs (DNA, 09/04/2009). « Nous avons très mal travaillé. Il n’y avait guère plus de monde les jours précédents le sommet. » déclare le président des restaurateurs strasbourgeois (DNA, 09/04/2009).
Qu’en est-il alors des promesses martelées par les éluEs et les autoritéEs locales ? Alors que les policiers, imprégnés de discours sécuritaires, invitaient discrètement les commerçantEs à baisser leurs rideaux, le discours officiel était à l’euphorie commerciale. Pourtant, dès le mois de février, l’architecture du sommet était globalement clarifiée et il était évident que les délégations et autres milliers de journalistes resteraient centrés sur le pôle OTAN où tout était organisé pour accueillir et nourrir ces clientEs potentiels. « Le travail ne manquait pas. On se faisait héler dans la rue. Mais la ville était barrée de tous côtés… On ne parvenait pas à franchir les barrages. On s’est fait rouler dans la farine. » (DNA, 09/04/2009) déclare le président des taxis.
Quelques secteurs d’activités, souvent déjà prospères, tirent bénéfices du sommet. Les hôtelierEs se réjouissent. Depuis des mois, les réservations sont complètes dans tout Strasbourg et bien au-delà. « Certains sont même logés à Thionville. » (DNA, 05/03/2009). À l’exemple de l’hôtel Hilton (245 piaules, deux restaurants et 15 salles de réunion) entièrement loué par les américains et la délégation de Barack Obama. Une location d’environ 1 million d’euro pour 3 jours. Le traiteur Effervescence a décroché une commande de 25.000 repas pour les délégations. Son directeur est heureux: « Question notoriété, c’est comme si j’avais organisé les Jeux Olympiques! ».
Les professions libérales sont, elles aussi, à la peine : une kinésithérapeute explique : « avec tous ces policiers, j’éprouve un sentiment d’oppression. Hier soir, en rentrant j’ai cru à un couvre-feu. Aujourd’hui, j’ai essayé de travailler en me disant : après 4 ou 5 barrages, j’arrête. Et bien voilà, je suis allé voir une patiente et c’était réglé. J’abandonne. » (DNA, 04/04/2009)
Quel profit politique tirer de cet enseignement ?
Durant toute la préparation du sommet de l’OTAN, l’une des questions principalement traitées par le journal les Dernières Nouvelles d’Alsace portait sur les retombées financières supposées et réelles de cette réunion internationale. La démonstration est faite que les retombées économiques ne profitent qu’à quelques entreprises privilégiées, généralement déjà florissantes et que, globalement, les activités économiques, culturelles, sociales sont sacrifiées durant plusieurs jours au profit du sommet international. Il y a sans doute là une réflexion à avoir pour imaginer une contre propagande politique dans les villes accueillantes des événements de ce type. La préoccupation première des commerçantEs et des habitantEs porte sur le bien-être et leur possibilité de gagner de l’argent. Pour les unEs, la question des libertés individuelles (se promener librement dans sa ville) pour les autres, la liberté de commercer normalement (et même encore plus). L’expérience strasbourgeoise du sommet 2009 de l’OTAN a clairement démontré que la population et les commerçantEs étaient largement perdantes. Fort de cet enseignement, il devient nécessaire d’imaginer participer aux nombreuses réunions organisées par les autorités, en amont des sommets, pour semer le trouble, apporter les preuves des mensonges, monter la population locale contre le projet imposé par les États.
Nous devons donc nous questionner sur une stratégie de communication tournée vers les médias et la population afin de déstabiliser les municipalités qui accueillent les sommets, en prenant des exemples précis.
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La troisème et dernière partie est ici.