Soyons clairs dès le début : la droite et l’extrême droite n’ont ni place ni droit à la parole dans nos événements (manifs, conférences, concerts, ateliers, etc.) et elles n’en auront jamais, comme tout propos visant des communautés opprimées. Nous ne nous en excusons pas. Pire, nous le revendiquons !
C’est désormais entendu les antifas sont des fachos. Ça pourrait prêter à rire, si nous ne l’avions pas lu ou entendu un nombre incalculable de fois. Bah oui, des personnes qui empêchent d’autres personnes de s’exprimer, fussent-elles d’extrême droite, ne peuvent être elles-même que d’extrême droite (vous aussi, vous venez de vous claquer un neurone en cherchant la logique de cette déduction pourtant imparable ?!) : les personnes qui sont contre la liberté d’expression sont des fachos, donc les antifascistes qui empêchent les personnes de droite (extrême) de s’exprimer, sont des fachos qu’il faut dénoncer. IM-PA-RA-BLE je vous dis !!!
Aaaaahhh, la liberté d’expression…
Bah oui, l’antifascisme c’est supposé être l’opposition aux dictatures et à l’autoritarisme. Par conséquent, nous devrions lutter pour le droit de chacun⋅e à dire ce qu’il⋅le veut. Le contenu des dites paroles, et les personnes qui les énoncent n’ont pas d’importance. Seul l’acte compte. Pour faire simple, tu ne peux être un⋅e vrai⋅e défenseur⋅e de la liberté d’expression que si
- tu laisses la parole à un⋅e opposant⋅e, fusse-t-il⋅le liberticide
- tu écoutes toutes les parties concernées par une question
- tu laisses une parole égale à tout le monde
C’est dans la lignée du poncif faussement attribué à Voltaire « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire ».
Ouiiiiii, c’est ça ! Perso, j’ai d’autres choses plus importantes à faire que de défendre, comme Chomsky, la liberté d’expression de révisionnistes. Ces personnes, je lutte contre, je ne les défends pas. Qu’elles aillent se pendre !
Nous militons pour un changement de système et de société, alors protéger celles et ceux qui en profitent et en sont les garant⋅es, je ne vois pas ce que j’en aurais à faire.
Non, toutes les paroles ne se valent pas.
Ce qui est sous entendu par cette ouverture d’esprit auto-proclamée des tenant⋅es du « tout-le-monde-doit-pouvoir-s’exprimer-c’est-vous-les-fachos » (que l’on désignera dorénavant comme des « idiot⋅es utiles » des extrêmes droites, expression bien plus concise). Je disais donc, ce qui est notamment sous-entendu par ces idiot⋅es utiles, c’est que tout vaudrait la peine d’être entendu. Et ce serait ensuite à chacun⋅e de faire son choix, sur la base des arguments avancés de chaque côté (c’est beau, j’en pleurerais presque, dites donc…).
C’est par exemple la naïveté qu’on a rencontré dans la quasi totalité des mouvements dits des « indignés » en France : tout le monde devait avoir droit à la parole, y compris les pires enfoiré⋅es d’extrême droite. Et on a bien vu ce qu’il s’est passé au fur et à mesure : pratiquement tous ces mouvements ont été infiltrés et gangrenés par ces idées, sans même que certaines personnes concernées ne s’en aperçoivent. Bah oui les gens, nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours. Nous sommes en guerre, et la guerre, ça ne se gagne pas qu’à coup d’argument/contre-argument énoncés à égalité, si tant est que l’on puisse garantir ces débats à égalité. Car en dehors du temps de parole, nous ne pouvons ignorer que ces personnes, tout habituées aux discussions de salon qu’elles sont maîtrisent très souvent le verbe et la manière, le charisme et les armes pour faire mouche auprès du quidam lambda dans un pseudo débat démocratique.
En laissant parler tout le monde à égalité, on laisse le dominant dominer. Et question idées, force est de constater que ce sont celles des extrêmes droites qui dominent et qui appellent à la domination.
Les droites (extrêmes ou pas) n’ont pas besoin qu’on les laisse exposer leurs points de vue : ils le sont déjà à longueur de journée, partout : aux gouvernements, dans les médias, dans la société,etc. Mais surtout, nos opposant⋅es aussi sont en guerre, et ils ont bien compris comment retourner des personnes, des mouvements, et ça ne se fait pas en déclamant naïvement des arguments. C’est le fruit de stratégies très construites, de mélanges des genres, un mix d’entrismes, de brouillages des lignes, etc. Ce sont ces éléments qui ont permis au FN notamment de faire sauter la stratégie dite du « cordon sanitaire ». La mouvance Soral/Dieudonné est un excellent exemple de ce mélange, tellement bien orchestré et déjà tellement abouti qu’il est difficile à détruire face à certain⋅es de leurs adeptes : tous les arguments rationnels possibles seront pourtant difficilement capables de leur faire entendre raison.
Un autre « phénomène » un peu similaire se développe avec Étienne Chouard, héros de la gauche du non au référendum du Traité Constitutionnel Européen en 2005, il a toujours affiché une (fausse ? ) naïveté à toute épreuve en étant ouvert à toutes paroles. Un espèce de défenseur de la liberté d’expression tous azimut. Au début on se dit qu’il est juste con. Et on creuse, et on se rend compte que plus que la liberté d’expression ce sont ses copain⋅es qu’il défend. Et parmi ses copain⋅es, on retrouve bizarrement des fines fleurs de l’extrême droite. Celle qui est invitée l’air de rien sur les plateaux télé au premier rang desquels Ce soir ou jamais, de Frédéric Taddéï, autre grand défendeur de la liberté absolue d’expression. Pour ces personnes, faire avancer le débat, c’est inviter Alain Soral et pour contre balancer, un communiste. Non ! On ne fait pas avancer les choses avec des débats contradictoires ! On n’invite pas Jean-Marie Le Pen pour parler de la gégène pendant la guerre d’Algérie ! Et encore moins avec des personnes qui en ont été victimes. Tout comme on n’invite pas un violeur pour parler du viol. Non seulement ça n’a absolument aucun sens et mais va falloir comprendre que toutes les paroles n’ont pas à être entendues, et encore moins par les victimes et les classes opprimé⋅es !
S’opposer, vraiment ?
Il est d’ailleurs très intéressant de voir que c’est l’extrême-droite qui passe son temps à réclamer cette libre expression alors même que nous avons déjà vu qu’elle est libre de déverser sa bile quand et où bon lui chante. Par contre, il en est qu’il⋅les ne veulent jamais voir, jamais entendre, et pour cause : ce ne sont pas de bons clients pouvant exprimer des idées étriquées entre 2 pages de pub, il⋅les sont les tenant⋅es d’un véritable renversement du système. Il s’agit de celles et ceux qui sont chaque jour de plus en plus stigmatisé⋅es et exploité⋅es dans cette société individualiste et capitaliste.
Et très clairement, les dominé⋅e⋅s de ce monde ne sont pas ces figures qu’on entend jouer les victimes à longueur de vidéos youtube, d’interview télé. Bon déjà vous saisissez le paradoxe entre dire qu’on n’a pas la parole et être interviewé à la télé ou avoir des millions de vues youtube, je pense. Mais surtout, les faits sont têtus. Et que nous disent-ils ? Que tous, bien loin de souffrir du système capitaliste, en profitent jusqu’au coup. Les Le Pen font partie des plus grandes fortunes de France, les analyses de bas étages d’Alain Soral (qui a un anticapitalisme très spécial) constituent son fond de commerce et d’enrichissement allant même jusqu’à arnaquer ses «alliés» politiques ou à se disputer avec son meilleur ami Dieudonné. Dieudonné, aaaah, Dieudonné, le créateur de la quenelle, ce geste anti système fait par Anelka, des flics, des militaires, des petits bourgeois FN, etc. Déjà tout un programme contre le système… mais quel système ? Celui de l’esclavage et du colonialisme qu’il défend ou celui du business très lucratif qui lui permet d’amasser de la thune au point de ne plus savoir où la planquer (ici et là)… Oppresseurs/opprimés, ces dissidents en carton ont clairement choisi le 1er côté de la barricade.
Liberté d’expression vs liberté d’oppression
Il faut donc savoir de quelle liberté d’expression nous parlons. Serait-ce vraiment la même chose de casser de l’islam et de casser du catho ? Évidemment non ! Car au final la liberté que réclament (et appliquent) toutes les mouvances de droite et d’extrême droite, c’est la liberté d’opprimer, de cracher sur les étranger⋅es, les immigré⋅es, les juif⋅ves, les homosexuel⋅les, les féministes, etc. C’est par exemple Charlie Hebdo qui caricature l’islam et les musulman⋅es au nom de cette pseudo liberté, sauf que…
Sauf que la liberté d’expression est ailleurs. Un élément clé est que la liberté d’expression est comme d’autres libertés : elle s’exerce avec responsabilité et en tenant compte du contexte. Stigmatiser des personnes déjà continuellement stigmatisées, n’est pas user d’une quelconque liberté ou d’un quelconque courage, c’est juste hurler avec les loups et accentuer une oppression déjà à l’œuvre de manière plus ou moins explicite un peu partout dans la société.
Revenons aussi sur le « cas » de Dieudonné. Bah oui c’est que de l’humour, non ? Et on doit pouvoir rire de tout ! Et bien non. Le rire AUSSI est politique. Et on peut y faire exactement les mêmes réflexions que pour la parole politique plus directe. À ce sujet, je vous renvoie vers les excellents articles de Denis Colombi sur son blog « Une heure de peine » (ici et là notamment) car ça ne serait redire ce qu’il dit déjà bien mieux.
Au final, c’est lorsque la parole porte à l’encontre des puissants que l’on peut vraiment dire que l’on fait usage de cette liberté. Car son véritable but doit être à la fois de protéger ou défendre les populations exploitées, et d’attaquer les puissants. En bref, ce doit être de renverser ce système pas de le renforcer, c’est choisir la vie plutôt que la mort (1), le courage plutôt que la lâcheté. C’est ce que font des milliers de militant⋅es au quotidien, qu’il⋅les soient des quartiers, antifa, féministes, anti colonialistes, LGBTQI, anarchistes, etc. et bien souvent un peu tout ça à la fois. Mais ceux-là ne vendent pas des DVD et des mugs, ne font pas fortune avec une pseudo subversion et n’ont pas les moyens de cacher de la thune en Afrique ou sous leur lit : il⋅les luttent au jour le jour, sur le terrain.